Loi 3DS : La reconnaissance des bassins de vie 


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Christian Dupessey, maire d’Annemasse et président de la Mission Opérationnelle Transfrontalière, a œuvré pour que les spécificités des ces zones soient prises en compte. Interview. Par Clotilde Brunet

 

Qu’est-ce que la Mission Opérationnelle Transfrontalière ? Quelles sont ces missions ?

Christian Dupessey : La MOT est une association fondée à l’initiative des collectivités territoriales proches des frontières et du ministère de l’Europe et des affaires étrangères avec le soutien de la Banque des Territoires et aujourd’hui de l’Agence nationale de la cohésion des territoires. Elle rassemble quasiment la totalité des collectivités qui bordent les frontières françaises de Dunkerque à Nice. Nos partenaires étrangers sont également présents : des régions belges, des lands allemands, le Luxembourg dans son ensemble. C’est un lieu où l’on peut échanger sur nos pratiques, lancer des études - comme on l’a fait sur le télétravail - et faire du lobbying auprès de l’Europe et des gouvernements afin de défendre les spécificités des zones transfrontalières. 
Ces zones frontalières ont de nombreux points communs mais aussi des différences ! 
Au sein de la MOT, on met en avant les points communs sans nier les spécificités. Elles sont souvent dues au régime administratif que l’on a en face de nous. Ce n’est pas la même chose pour la Suisse qui ne fait pas partie de l’Union Européenne que pour l’Allemagne avec qui on partage des traités.


La MOT a été à la manoeuvre concernant cette loi 3DS ? 


Oui, ça a été une de nos tâches importantes. La MOT rassemble tous les courants politiques républicains autour des frontières. On a plus de poids en parlant d’une seule et même voix. On a souvent rencontré Jacqueline Gourault et Joël Giraud, tour à tour ministres de la Cohésion des territoires. On a insisté sur le fait qu’il était indispensable de reconnaître les spécificités des bassins de vie transfrontaliers. 


Il semble que les dispositions liées aux transfrontaliers aient été ajoutées à la dernière minute dans le projet de loi ?

Non, pas à la dernière minute. Mais c’est vrai qu’elles n’étaient pas présentes dans les premières moutures. Ce n’était pas possible dans une loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et la simplification ! Le bassin de vie transfrontalier a été reconnu par quasiment tout le monde avec la survenue de la crise du Covid. Le bassin de vie ne se résume pas à la question des travailleurs transfrontaliers. Ça implique aussi des problématiques de vie quotidienne, familiales… Quand on ferme la frontière, on voit que ça ne marche plus.


Qu’avez-vous obtenu grâce à ce texte ? 


Un chapitre “coopération transfrontalière”, consacré aux bassins de vie transfrontaliers. Au sein de notre Europe, on voit que la frontière peut protéger, comme le démontre la guerre en Ukraine, mais la frontière doit aussi être un lien fort. J’ai l’habitude de dire que la frontière n’est une coupure mais plutôt une couture. Le point essentiel, c’est vraiment la reconnaissance des bassins de vie transfrontaliers. C’est la première fois que cette notion apparait dans un texte de loi. Le législateur a retenu trois grandes thématiques.


Quelles sont ces grandes thématiques ? 


La première grande thématique, c’est la santé. Les territoires transfrontaliers seront obligatoirement intégrés dans les plans régionaux des ARS. Un accord France-Suisse existait déjà en matière de santé mais il était un peu théorique. Grâce à la loi 3DS, l’ARS a la responsabilité de la décliner en organisant la continuité des soins, l’accès aux soins urgents, la gestion en temps de crise… Les communautés professionnelles territoriales de santé pourront associer des professionnels qui exercent sur les territoires étrangers voisins. 


Concrètement un Français peut indifféremment se faire soigner en France ou en Suisse ? 


On n’en est pas là mais c’est une perspective qui peut être ouverte. Le Pays de Gex, qui compte 100 000 habitants, ne possède pas d’hôpital. Ses hôpitaux de référence sont celui d’Annecy et celui de Saint-Julien-en-Genevois alors qu’il y a des hôpitaux suisses à quelques minutes ! Il y avait déjà des accords sur les soins d’urgence. Quand le pronostic vital est engagé, les ambulances transportent souvent les victimes à Genève. On ne souhaitait pas que la loi 3DS décrive tout. La situation du Genevois français n’est pas celle de Strasbourg ou de Longwy. Il s’agit d’un cadre de travail à décliner et à appliquer sur le terrain. 
La loi 3DS va également faciliter l’apprentissage transfrontalier… 
Elle va permettre à un apprenti d’effectuer une partie de sa formation théorique ou pratique dans un autre pays. C’est quelque chose qu’on arrivait à faire en trichant un peu, maintenant on n’aura plus à tricher. Les apprentis et les alternants pourront trouver un patron de l’autre côté de la frontière. Quand les parents sont eux-mêmes travailleurs transfrontaliers, c’est plus facile pour le jeune de trouver un employeur en Suisse. On attend encore des déclinaisons législatives ou administratives. Comme cela concerne la formation, ça doit être validé par l’Éducation Nationale. 


D’autres applications ? 


Oui en matière d’aménagement du territoire. Le Grand Genève est assez exemplaire sur ce sujet : on a un projet d’agglomération co-financé par Bern sur des grandes infrastructures, notamment de mobilité comme le Léman Express et les trams. La loi 3DS va permettre d’aller plus loin. Il y a un exemple cité dans le texte : les commissions départementales d’aménagement commercial. Elles donnent l’autorisation ou non à des moyennes et grandes surfaces de s’implanter. Si on en installe une juste d’un côté de la frontière, ça a un impact sur l’autre côté. Les collectivités étrangères vont pouvoir participer à ces commissions et donner leur avis. On demandera à participer à leurs propres commissions de décision. Ce sera effectivement le cas avec la Suisse, l’Allemagne et la Belgique. Autre disposition : la possibilité d’associer les collectivités territoriales étrangères en tant qu’actionnaires minoritaire pour gérer des services publics communs. 


Vous aviez d’autres attentes ?


Il n’y a pas tout dans cette loi ! On aurait aimé aller plus loin avec des SCOT transfrontaliers par exemple. On a un projet de territoire écrit et partagé sur le Grand Genève mais il n’est pas réglementaire. Avec un SCOT, on passerait de la recommandation à l’obligation. On devrait pouvoir avancer vers des documents d’urbanisme communs qui s’imposent des deux côtés de la frontière.


Emmanuel Macron vient d’être réélu Président. Est-ce qu’il y a quoi que ce soit qui concerne les transfrontaliers dans son programme ?


Je l’ai pas vu et je le regrette mais ce n’est pas le seul. C’est un combat permanent, quel que soit le Gouvernement, de droite, de gauche, d’Emmanuel Macron… Il faut toujours expliquer ce qu’est une zone transfrontalière. La loi 3D inscrit la reconnaissance de ces zones. Je pense qu’on ne repartira pas de zéro cette fois-ci. C’est un tremplin.